Une série de mystères

Partie quatre

Une affaire de famille : un secret bien gardé

par J. J. (Joe) Healy, Surintendant de la GRC (retraité)

la collaboration et la patience d’amis dont les noms seront bientôt révélés


la mémoire du surintendant principal J. W. 'Jack' White, reg.#0.795
1er janvier 1931 - 22 février 2011
Jack connaît maintenant le secret d’une grande énigme canadienne


Avant-propos

Un virus et un secret ont une chose en commun : les deux vivent enfouis, l’un dans une cellule vivante, l’autre au tréfonds de l’âme humaine. Avec un microscope, n’importe qui peut examiner un virus, mais seul Dieu peut sonder l’âme. L’âme est le coffre-fort des secrets.

Je suis porté à penser qu’il y a, dans presque chaque famille, un secret. Il peut s’agir de problèmes de santé pouvant nuire aux possibilités d’emploi ou de promotion, d’un gain à la loterie que l’on veut soustraire à la publicité, du penchant de tante Marie pour le Gin Tonic, ou encore, d’un casier judiciaire qui bloque l’obtention d’un passeport ou restreint les déplacements à l’étranger.

Je me souviens qu’il y a bien des années, lorsque j’étais policier à l’aéroport international de Toronto, l’une de mes périodes de travail les plus mouvementées était le samedi soir. C’était toujours une soirée houleuse. Par exemple, un couple fraîchement marié pouvait se présenter au comptoir de l’immigration pour se faire dire que l’un des deux tourtereaux avait un « passé secret » - un casier judiciaire remontant à plusieurs années. Du coup, le passé criminel de l’un mettait un stop à leur projet de lune de miel à Hawaii. Leur vol décollait pendant qu’eux restaient sur place à se quereller.

Aujourd’hui, des mesures plus nombreuses sont prises pour éviter que des secrets ne deviennent publics et pourtant il se trouvera toujours des fouineurs armés de caméras qui réussiront à mettre le nez dans les affaires des autres. La soif du public pour ce genre d’information est devenue aussi vitale que l’air pour un Seal de la Navy. La soif de renseignements au sujet des célébrités est si grande et si répandue que les entreprises qui publient les magazines à potins risquent de bientôt se retrouver à court d’encre.

Les Healy aussi ont des secrets de famille. The Ottawa Citizen (p.C9), par exemple, écrivait le 12 mai 2011 que Henry Healy du Clan Healy de Moneygall (Irlande) a des liens de parenté avec le président des États-Unis, Barack Obama. Dans ma famille, la publicité n’étant pas bien vue, nous préférions taire ces racines communes. Et pourtant, l’information a été véhiculée par la presse canadienne et sur les réseaux de télévision américains.

USPresident

Il est maintenant grand temps de dévoiler un autre secret bien gardé qui lie la famille Healy à un officier bien connu qui a laissé sa marque dans l’histoire de la GRC et qui s’est occupé d’une affaire de meurtre il y a très longtemps.















Partie quatre

Une affaire de famille : un secret bien gardé

Depuis quelques mois, je mets en place les éléments qui me permettront de dévoiler un grand mystère canadien. Ce mystère tourne autour d’un secret bien gardé. Pour moi, il s’agit d’une affaire de famille bien personnelle. J’ai été longtemps capable de tenir ce secret, mais il y a quelques mois je l’ai révélé à ma femme. Puis j’en ai parlé à des membres de ma famille – au moins à ceux qui pouvaient comprendre mon rôle dans l’affaire. Un très petit nombre d’amis sûrs sont déjà au courant : ils sont les fiables gardiens de mon secret.

Il y a des petits secrets et il y en a des gros. Les Forces armées canadiennes en ont de gros. Leurs unités spécialisées agissent dans des pays hostiles. Le secret doit être maintenu pour protéger leurs techniques de formation, leurs politiques et leur état de préparation à la guerre. Le secret permet aussi de protéger leurs déplacements et le nom des pays où elles agissent. Le secret préserve la vie de nos militaires. Mais en voici un petit. Chaque dimanche, je vois un ami à l’église. Je ne sais pas son âge exact, mais je pense qu’il est beaucoup plus âgé que moi. Il a une épaisse chevelure noire et ondulée, toujours bien coiffée. Nous avons le même barbier. Un jour, par inadvertance, le barbier a laissé échapper un secret : cet ami que je vois a l’église si bien coiffé porte un faux toupet très très cher.

Et maintenant, parlons de ce grand mystère. Le récit du trappeur fou ou, comme je préfère l’appeler, le récit du trappeur tragique, a la particularité d’être la plus grande chasse à l’homme de l'histoire de la GRC. La poursuite d’Albert Johnson a provoqué un choc des époques, une fracture entre l’ancienne GRC et le besoin d’une GRC plus moderne. Un très grand nombre de personnes ont participé aux opérations de recherche, de poursuite et de capture. Le gendarme Edgar Millen y a laissé sa vie. Sa famille en a été profondément marquée comme bien d’autres personnes. Le gendarme Alfred King de la GRC et un membre du Canadian Signals Corps, Earl Hersey, ont été grièvement blessés au cours de la fusillade. La vie de ces hommes et de leurs familles a été bouleversée, et d’autres vies s’en sont trouvées à tout jamais changées. Certains Autochtones, par exemple, en sont restés traumatisés. Personne n’a pu oublier l’inexplicable perfidie du tueur des régions nordiques du Canada.

La poursuite de cet homme à l’identité à ce jour incertaine a marqué un tournant dans l’histoire de la GRC, et a permis de constater le formidable potentiel que représentent, pour la police, des inventions modernes comme l’avion. Lors des opérations, un avion a été utilisé pour transporter les policiers à la zone de recherche. Il a aussi servi au ravitaillement des hommes et des chiens. L’appareil a effectué des centaines de miles en quelques heures alors qu’il aurait fallu des jours à un traîneau à chiens pour franchir la même distance. Grâce à l’avion et à l’équipement de communication radio, il a été possible d’éviter une embuscade dressée par le tueur. La radio a aussi joué un rôle vital dans la poursuite, car elle a permis à l’équipe de recherche de communiquer avec Wop May, le pilote de l’avion. L’importance de l’avion dans ce cas-ci ne saurait être sous-estimée. Et c’est l’officier commandant du secteur de l’Arctique de l’Ouest, l’inspecteur Alexander Neville Eames (#5700), qui en avait eu l’idée. Le commissaire MacBrien, reconnaissant les avantages de l’utilisation d’un avion, a appuyé sa demande et l’a présentée au Cabinet qui l’a approuvée. La poursuite du trappeur fou a mis à l’épreuve les talents de leadership et l’ingéniosité de Eames, qui a démontré tout au long de l’affaire qu’il était à la hauteur de la tâche.

Il ne fait pas de doute que la poursuite, qui a duré près de sept semaines, était une suite d’événements impressionnante. Il est devenu à la mode, à ce moment-là, d’acheter des appareils radio afin de pouvoir suivre, partout dans le monde, le déroulement de la poursuite. Certains auditeurs espéraient que le tueur réussisse à devancer la police, mais en réalité, la plupart savaient que le but de la GRC était de le capturer. Eames, en tant que commandant des opérations de poursuite, voulait, semble-t-il, que le tueur soit pris vivant – un fait qui, à mon avis, a été complètement passé sous silence. Eames s’est distingué par ses qualités de chef, surtout parce qu’il accordait une très grande importance à la vie de l’individu quel que soit son crime. Il savait qu’il fallait préserver la vie, en dépit des actions du tueur.

Pour Eames, le tueur était un homme, une personne. Ce désir de le capturer vivant reflète aussi les traditions de la GRC à cette époque-là – la façon dont les gens devaient être traités quand « 'Maintiens le Droit » signifiait exactement cela. Suis-je le seul Canadien à penser que les méthodes de poursuite anciennement employées par la GRC et les efforts pour capturer les suspects vivants ont été remplacés par une culture plus expéditive de « simple élimination »? Si c’est effectivement le cas, les juges ont matière à s’inquiéter. Bien entendu, les pathologistes continueront d’avoir du travail, mais les juges, eux, en auront moins puisque le nombre de suspects diminuera, certains d’entre eux, décédés, n’étant vraisemblablement plus en mesure de se présenter devant le tribunal.

La poursuite du trappeur fou s’est étendue sur des centaines de kilomètres dans les pires conditions imaginables de froid intense et de grands vents. Les dangers que l’équipe de policiers a dû affronter sont innombrables et difficilement concevables. Chaque jour, elle risquait de manquer de vivres. Ses chiens de traîneaux risquaient de ne pas avoir l’énergie suffisante pour faire leur travail, et certains sont morts à la tâche. Un feu, la nuit, aurait pu donner un peu de chaleur aux hommes, mais il aurait pu tout aussi bien indiquer au tueur l’endroit où l’équipe bivouaquait.

L’équipe devait se tenir constamment sur ses gardes et ne pouvait s’accorder le moindre répit. Les fournitures et l’équipement médicaux étaient rares en 1931, et il n’y avait pas d’hôpital à proximité. En se déplaçant la nuit par traîneaux à chiens, les policiers risquaient de tomber dans les eaux glacées et de mourir par hypothermie. Par moments, le vent froid soufflait si fort que la neige finissait par recouvrir entièrement l’avion qu’il fallait, une fois la tempête terminée, retrouver, puis déneiger afin qu’il puisse décoller. Les hommes craignaient que le tueur ne leur échappe en traversant la frontière américaine, ou qu’il soit impossible à capturer, lui qui avait l’inexplicable habileté à escalader les plus hautes montagnes.

À mon avis, tous ceux qui ont participé aux opérations étaient des héros. Même s’ils n’avaient pas la formation voulue pour se lancer dans une poursuite de cette envergure, les hommes de la GRC et les autres membres de l’équipe ont formé un groupe cohésif animé d’un seul objectif : capturer le meurtrier d’un policier. Ces hommes et les nombreux autres qui leur ont prêté main-forte ont fait leur travail sans vraiment se plaindre et méritent tous d’être reconnus. Au bout du compte, il est sans intérêt pratique de chercher à savoir si un membre de la GRC a plus de mérite qu’un autre. La tâche de la GRC était double : capturer le suspect, puis l’amener devant le tribunal.

Mais, de toutes les personnes héroïques mêlées au récit du trappeur fou, un officier se distingue. Il est tout en haut de ma liste des héros et, à mon avis, mérite bien l’anneau d’or, et il s’est vu décerner l’Ordre de l’Empire britannique ((O.B.E.).

Insp. A. N. Eames

Cet officier était le chef de l’équipe, l’inspecteur A.N. Eames. Il était le commandant sur place. Il n’a pas été choisi pour cette opération précise, mais lorsque l’occasion s’est présentée, sur son territoire, il ne l’a pas écartée. Il a joué, dès le départ, un rôle actif en tant qu’officier supérieur et il a fait preuve de courage jusqu’à la fin de la poursuite. Il a consulté son équipe, mais c’est lui qui prenait les décisions à chaque étape des opérations. Il a mis sa vie en jeu de façon constante comme l’ont fait tous ceux qui ont participé à la poursuite. Il a vécu dans les mêmes conditions que ses hommes, mais il était aussi responsable de chacun d’eux. Il a su reconnaître les talents de chaque membre de son équipe.

Au début de l’affaire, il a dû décider s’il devait laisser le gendarme Millen continuer la poursuite étant donné que ce dernier était le seul membre de la GRC à avoir vu le tueur et à lui avoir parlé. Eames a continuellement étudié les progrès de l’équipe et a apporté au fil et à mesure les modifications qui s’imposaient. Il évaluait rigoureusement les renseignements que lui fournissaient ses guides et son Commandement aérien nouvellement mis sur pied. Il présentait régulièrement des rapports sur les progrès accomplis au bureau d’Edmonton qui, à son tour, en informait Ottawa. Ses hommes lui témoignaient la plus haute estime. Le commissaire MacBrien avait pleine confiance dans le travail de l’inspecteur Eames, dans sa compétence, dans son jugement, et dans ses connaissances du Grand Nord et de ses dangers. Il connaissait la loi et les pouvoirs dévolus à la GRC, et il ne craignait pas de défendre ses opinions comme il l’avait démontré avec force dans une lettre au gendarme Millen.

En tant que commandant de secteur, c’est l’inspecteur Eames qui a joué le rôle le plus important dans la capture du meurtrier. En juillet 1931, dès le déclenchement de ce qui deviendra une tragédie, il avait compris qu’Albert Johnson causerait vraisemblablement des ennuis. J’ai de la difficulté à m’expliquer ce qui a amené l’inspecteur Eames à penser de la sorte, mais c’est un fait que certains policiers sont capables de flairer ou de pressentir l’imminence d’un danger.

Des situations différentes déclenchent des pressentiments différents. Une intuition juste du danger qui menace peut être l’élément qui gardera un policier vivant. La capacité de jauger une situation dépend de divers facteurs : les antécédents du policier; son expérience; son niveau d’éducation; le fait d’avoir déjà affronté des situations semblables; l’observation et les mouvements du suspect; ses capacités d’observation et d’évaluation des comportements; l’heure du jour ou de la nuit; et la nature de l’événement et l’endroit où il se déroule.

Prenons l’exemple suivant. Au détachement de Burnaby en 1965, j’ai eu comme formateurs des agents chevronnés. J’ai toujours été reconnaissant de l’aide qu’ils m’ont fournie. Un jour, dans un grand centre commercial, mon agent principal de formation m’a demandé d’arrêter une personne fortement intoxiquée. Mais avant de m’autoriser à passer à l’action, il m’a fait part d’un secret au sujet de l’alcoolisme, secret que je n’ai jamais oublié et qui m’a souvent épargné par la suite d’avoir à en venir aux coups. Voici ce qu’il m’a dit : un alcoolique peut flairer l’attitude du policier qui l’approche. Il sait immédiatement si le policier est bon, se garde de porter des jugements et est compréhensif ou, au contraire, s’il est grossier, brutal et prêt à se battre.

Il est possible que le policier ou la policière émettent des ondes. Quoi qu’il en soit, ce secret s’est toujours révélé juste. Après cette leçon sur l’alcoolisme, j’ai toujours approché un individu intoxiqué différemment que je ne l’aurais normalement fait, en m’efforçant d’être détendu et non menaçant. Je lui offrais ma main et l’aidais à se mettre sur ses pieds. Un mot de réconfort aide et permet de masquer l’embarras. Une courte conversation amicale, suivie de « S’il vous plaît, suivez-moi ». Au fil des ans, j’ai pu me familiariser avec deux caractéristiques de l’alcoolique : il sait et il ne sait pas. Il sait qu’il souffre d’une maladie et il ne sait pas comment obtenir de l’aide. Je pense que les policiers ont l’obligation sociale d’apprendre les secrets de leur métier. Ils apprennent ces secrets des personnes dont ils ont réussi à gagner la confiance. Et cette confiance s’établit en parlant avec les gens. En encourageant plus de policiers à parler, nous aurions des services de police meilleurs et plus attentifs à la collectivité qu’ils servent.

Mon héros, l’homme dont je parle, l’inspecteur A. N. Eames savait flairer les situations difficiles et y réagir efficacement. Il a eu une longue et captivante carrière à la GRC – jusqu’à ce que survienne un triste épisode à la toute fin. Je me souviens de Burnaby (B.-C.). L’inspecteur et moi, nous y étions tous les deux. Je tiens à dire que je n’ai jamais officiellement signalé l’incident et aujourd’hui, je lui dois bien de ne pas le rappeler.

Afin de mieux comprendre la contribution de cet homme à la GRC, je parlerai dans mon prochain article plus longuement de la vie personnelle et professionnelle de Eames. Le récit du trappeur fou a contribué à la renommée de l’inspecteur Eames, renommée qu’il n’a pas recherchée et dont il ne s’est jamais glorifié. L’importance de cet homme rend le secret que je m’apprête à révéler d’autant plus mystérieux.

Le 23 mai 2011

Fin de la Partie quatre

La présente série comprend sept parties.

J. J. (Joe) Healy
Reg.#23685

 



Première partie : mars 2011 - 'La livraison d’un colis longtemps attendu'

Deuxième partie : avril 2011 - 'Les héros de mon passé'

Troisième partie : mai 2011 - 'Un meurtre peu ordinaire'

Cinquième partie : juillet 2011 - '0.209, A.N. Eames : Vie, traditions, revers, solitude et héritage'

Sixième partie : août 2011 - '0.209, A.N. Eames : Revers, solitude et héritage'



Retour au début

'Perpétuer nos souvenirs'